Hugues Sibille est président de la Fondation Crédit Coopératif et du Labo de l’ESS, fondateur de l’Avise et ancien secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire. Pour lui, les monnaies locales sont une forme innovante de l’Économie sociale et solidaire (ESS) capable de tisser les indispensables coopérations territoriales entre entreprises, collectivités, associations et citoyens pour la résilience des territoires et la transition écologique et sociale.
Nous vous proposons aussi un extrait de son intervention en ouverture du webinaire « Les monnaies locales au service d’un concept nouveau : le tourisme participatif », organisé en conclusion d’une recherche-action portée par l’Institut des monnaies locales et l’Eusko, la monnaie locale du Pays Basque, et soutenue par la Fondation Crédit coopératif. Une réflexion utile pour faire le lien entre monnaies locales, ESS, transition écologique et démocratie économique.
« Si je suis présent à ce webinaire, c’est moins en tant que financeur institutionnel qu’en tant qu’homme de conviction et d’engagement.
J’ai accepté de participer parce que je crois en ce que fait l’Eusko depuis que je suis venu sur place, au titre du Labo de l’ESS, me rendre compte de ce qu’était la monnaie locale du Pays Basque.
J’ai été convaincu par l’efficacité de ce que j’ai vu, en particulier le triangle de réussite entre un projet de transition écologique et sociale fort, la recherche d’un modèle économique équilibré, un engagement de la population. Je suis également présent parce que je suis convaincu que la crise climatique et les crises sanitaires imposeront d’inventer une économie autrement.
La Fondation Crédit Coopératif est entièrement dédiée à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS). Dotée d’un budget de 1,750 M€, elle finance des initiatives innovantes de l’ESS, des recherches en ESS et des actions de transformation de l’ESS.
Nous devons considérer les monnaies locales et plus largement les monnaies alternatives comme des acteurs de l’ESS à part entière. Comme une forme innovante d’ESS. Et ce d’autant plus après le Covid qui, on le sent bien, impose un gros effort de relocalisation des activités. Dans mon esprit, l’ESS est à la pointe d’une nouvelle économie de proximité, plus juste et plus durable.
L’ESS doit aussi être à la pointe de la transition écologique en inventant une économie autrement. Il faut sortir d’une division entre une économie créatrice de richesses mais polluante, et une écologie réparatrice ou punitive. L’ESS peut être cette économie autrement, qui conjugue économie et écologie.
L’économie autrement, c’est celle où le pouvoir de décision n’appartient pas au seul actionnaire, où la lucrativité est limitée, où des critères d’utilité écologique et sociale sont pris en compte, où le pouvoir et les revenus sont équitablement partagés.
L’enjeu actuel de l’économie autrement, c’est de mon point de vue de sortir de la sempiternelle question : « faut-il plus de marché ou plus d’État ? » et de faire confiance à la société civile. Comment le citoyen conquiert-il davantage de pouvoir direct sur la production, la distribution, la consommation, l’épargne, les choix énergétiques, etc. ? Les monnaies locales sont, à l’évidence, l’un des moyens de conquête du pouvoir direct des citoyens sur l’économie.
Pour cela il faut des outils et des stratégies, aussi bien pour les territoires que pour les filières, comme celles de l’alimentation durable (Biocoop, Jardins de Cocagne…), de la mobilité durable (Railcoop, Mobicoop…) ou de la transition énergétique citoyenne (Enercoop).
Les stratégies de filières et de territoires ont aussi besoin d’outils juridiques et financiers. De ce point de vue, je défends vivement l’outil SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) comme étant adapté à de nouvelles stratégies de conquête entrepreneuriales. Je défends des outils de financement de proximité tels que les fondations territoriales, ou les livrets d’épargne de proximité. Et les monnaies locales peuvent être des outils majeurs de développement pour ces stratégies.
Autre point : pour avancer dans une transition plus écologique et plus solidaire, plus résiliente, les choses se joueront d’abord sur la qualité des écosystèmes de coopération locale.
Le Labo de l’ESS a beaucoup travaillé sur les PTCE (Pôle Territorial de Coopération Économique) et les dynamiques collectives de territoire. La coopération ne se décrète pas, elle se construit. Elle implique des changements de comportements, une confiance qui se construit pas à pas, des outils de travail, des formes de gouvernance, de l’ingénierie.
Ce qui est nouveau, c’est que les citoyens/habitants soient inclus dans ces coopérations, soient acteurs participants. La monnaie locale peut être pour cela un outil de confiance et de coopération. Car la monnaie repose sur la confiance, et crée la confiance.
Je conclus en disant que l’Eusko est une référence en matière de monnaie locale. Il faut sortir les monnaies locales d’une certaine marginalité où elles sont. Il faut accroître leur efficacité et leur impact. Je n’ai pas peur des mots. Votre Institut les Monnaies Locales a un rôle important à jouer, et doit avoir de l’ambition.
Soyez ambitieux ! Réussissez ! C’est le meilleur que vous pouvez apporter au monde de demain.
Je pense que nous sortirons du Covid. En revanche, les menaces dues à la crise climatique, aux inégalités sociales ou au recul de l’État de droit, sont bien devant nous.
L’ESS est une réponse parmi d’autres, une réponse ouverte, tolérante, qui doit se fixer comme but de polliniser le reste de l’économie et devenir la norme. »
Photo © Kathleen Rengnet