Acteur incontournable de la culture basque, la compagnie Bilaka vient de s’engager avec l’Eusko. Pour comprendre le sens que porte leur adhésion à la monnaie locale du Pays Basque et leur engagement pour le territoire, nous avons rencontré Xabi Etcheverry, à la direction artistique du projet.

 

Euskal Moneta : Pourrais-tu nous rappeler qui est Bilaka, quelles sont ses activités ?

Xabi Etcheverry : Nous sommes un collectif d’artistes, musiciens et danseurs, implantés à Bayonne au studio Oldeak de la Cité des Arts. Nous travaillons à l’activation contemporaine de la culture basque, c’est-à-dire que nous partons du patrimoine immatériel traditionnel pour en prolonger le mouvement vers des esthétiques plus actuelles, tant au niveau des danses que des musiques. Nous avons ainsi une activité de création de spectacles d’écritures nouvelles, chorégraphiés par des membres du collectif ou par des chorégraphes invités, puisant dans d’autres esthétiques. Et nous avons également un volet « rituel », à travers la création de rendez-vous populaires et de bals traditionnels, générateurs de lien social et témoins d’une pratique vivante de la culture basque. Il s’agit là de désacraliser les écritures chorégraphiques pour faire danser les publics sur des répertoires du Pays Basque et d’ailleurs.
Enfin, nous menons un important travail de sensibilisation, afin de développer la pratique de la danse et de la musique traditionnelles des jeunes générations.
On cherche à travers nos activités à redonner à la culture basque sa juste place de tradition vivante et contemporaine.

 

 

E.M. : Quel sens cela a pour votre collectif d’adhérer à la monnaie locale du Pays Basque ?

Xabi E. : Nous sommes culturellement profondément attachés à notre territoire. Il était donc logique de poursuivre cet engagement, mais cette fois sur le volet économique. Nous croyons aux valeurs portées par l’Eusko : relocalisation, pratique de la langue basque et solidarité territoriale. On peut voir la culture comme un « produit local », et alors penser des « circuits courts de la culture ». Cela permettrait à l’eusko d’infuser sur le secteur culturel, et pas seulement sur les dépenses pratiques quotidiennes. D’autant plus que nous savons que plusieurs opérateurs culturels sont déjà à l’Eusko (régies, mairies). Nous aimerions inciter le milieu de la culture à se joindre à nous dans cette démarche d’utilisation de la monnaie locale : diffuseurs, prestataires, artistes, etc.
De plus, notre collectif regroupe des artistes locaux : 5 danseurs professionnels et une dizaine de musiciens qui vivent de la culture et participent à l’économie locale. Certains sont déjà adhérent à l’Eusko à titre particulier, et ont exprimé le souhait d’être rémunéré en partie en monnaie locale, comme cela se fait dans de plus en plus d’entreprises.

 

E.M. : Est-ce que le contexte sanitaire actuel a eu une influence sur cette démarche ?

Xabi E. : Oui. Au-delà de redécouvrir l’importance du local et ce qui nous lie à notre territoire, la situation actuelle nous pousse à trouver des alternatives, à se réinventer. Les salles de spectacles et de concerts sont fermées, et nous perdons le contact avec le public. Nous redoutons la virtualisation de la culture : qu’elle ne « vive » qu’à travers des écrans. Nous sommes amenés à réaliser des captations de nos productions, mais ça ne doit pas être la seule solution. Nous devons trouver les moyens de maintenir une connexion avec le public, dans le respect des consignes sanitaires bien sûr. Nous sommes en train de perdre l’essence même du spectacle vivant, et avec celle-ci toutes les sensations et émotions qu’il procure. Créer de l’émotion sincère et vraie, est plus que jamais nécessaire dans cette période difficile.
Nous intervenons déjà en établissement scolaire ou en Ehpad autour de projets d’éducations artistiques et culturelles. Et nous espérons qu’en acceptant maintenant l’Eusko, nous allons pouvoir activer un nouveau réseau d’organisateurs culturels, qui pourraient s’interroger sur des nouvelles diffusions de la culture, qu’il s’agisse d’ikastola, ou encore d’entreprises souhaitant réutiliser leurs eusko pour faire vivre la culture hors des écrans.
Par ailleurs, avec une « relocalisation » de la culture, on réduirait les risques d’annulation. Quand on voit les dépenses engagées pour les grosses tournées internationales, nous pensons que c’est le bon moment de faire appel aux artistes locaux afin de maintenir une activité culturelle.

 


Xabi Etcheverry, à la direction artistique musicale de Bilaka

 

E.M. : Comment allez-vous utiliser la monnaie locale ?

Xabi E. : Les contrats de cession de nos spectacles vont être proposés en eusko, de même que la participation à nos différents ateliers. Par ailleurs, nous allons également proposer à notre communauté d’adhérer à l’Eusko si ce n’est pas déjà fait, pour pouvoir nous parrainer à travers le dispositif du don 3% [cela permettrait à Bilaka de recevoir chaque année un don de la part d’Euskal Moneta, équivalent à 3% des achats en eusko réalisés par leurs parrains – plus d’infos sur le don 3%]. On se rend compte que beaucoup de gens s’identifient et se reconnaissent dans l’écriture artistique de Bilaka, et dans cette période difficile pour la culture, nous parrainer serait un double geste de soutien : pour notre collectif, et pour le territoire en utilisant la monnaie locale.
Ensuite, comme dit précédemment, une partie de nos salaires pourra être versée en eusko. Nous pourrons également régler en monnaie locale les costumes de nos spectacles, car les couturiers sont souvent des petits artisans créateurs, nos dépenses de bureautique et de consommables, ou encore le merchandising autour de la compagnie, avec tee-shirt, tote-bag, et autres supports que l’on pourrait imaginer avec Pott serigrafia. Et nous allons nous mettre à la recherche de prestataires son, lumière, vidéo, restauration qui acceptent l’eusko, ou qui pourraient l’accepter. C’est important pour nous de faire bouger le milieu culturel dans le sens de la relocalisation, afin de construire un vrai réseau de prestataires locaux.

 

E.M. : Milesker Xabi. Un mot de la fin ?

Xabi E. : Il ne nous tarde qu’une seule chose : se produire le plus vite possible et renouer le contact avec le public !

 


Bilaka Kolektiboa – Bayonne
Collectif de danseurs et musiciens basques professionnels, ateliers et création artistique en direction de tous publics